samedi 8 novembre 2008

Ostéopathie crânienne



Ostéopathie crânienne : Son destin semble clair
Steve E. Hartman
Address: Department of Anatomy, College of Osteopathic Medicine, University of New England, Biddeford, ME, 04005, USA
Email: Steve E Hartman* -
shartman@une.edu


L’article original a été publié le 8 juin 2006 dans :
Chiropractic & Osteopathy
2006, 14:10 doi:10.1186/1746-1340-14-10
Terxte original
www.chiroandosteo.com/content/pdf/1746-1340-14-10.pdf
Traduction autorisée par Steve E. Hartman


Résumé
  • Contexte
    Selon le modèle original de l’ostéopathie crânienne, des mouvements rythmiques intrinsèques du cerveau humain génèrent des fluctuations rythmiques du liquide cérébro-spinal et des modifications spécifiques coordonnées entre les membranes durales, les os du crâne et le sacrum. Les praticiens croient pouvoir modifier par palpation les paramètres de ce mécanisme au bénéfice de la santé du patient.
  • Discussion
    Ce mode de traitement manque de plausibilité biologique, ne présente aucune fiabilité diagnostique, et offre peu d’espoir de montrer un jour un quelconque effet clinique direct. Malgré des recherches produisant des résultats presque constamment négatifs, les méthodes « crâniennes » restent populaires auprès de nombreux praticiens et patients.
  • Résumé
    Dans l’attente de résultats d’études démontrant un effet clinique positif et direct de ces techniques, elles devraient être retirées de tous les programmes universitaires ; les compagnies d’assurances devraient cesser leur remboursement ; et les patients devraient consacrer leur temps, leur argent et leur santé à autre chose.


État des Connaissances
« La vérité est une grande chose, mais au vu de son immensité, il est curieux de voir le temps qu’il lui faut pour prévaloir. »
TH Huxley, 1894 [[1](p218)]
Malgré tout ce que j’ai appris au cours de ces dernières années sur la crédulité humaine, j’ai encore des difficultés à saisir le peu d’influence que peuvent parfois avoir certains faits sur le comportement. Par exemple, la médecine du 21ème siècle, fondée sur les preuves, doit s’accommoder des nombreuses prétentions infalsifiables (ou déjà falsifiées) de praticiens des arts médicaux appelés par euphémisme « alternatifs » ou « complémentaires ». Nombre d’entre-eux nous sont familiers comme l’homéopathie, le toucher thérapeutique, la réflexologie, l’aromathérapie, la thérapie magnétique ... etc., etc., etc. Une forme de thérapie présentant un intérêt particulier pour les lecteurs de ce journal et pouvant honnêtement être qualifiée d’ « alternative », est l’ostéopathie crânienne [2-4] /thérapie crâniosacrée [5]. Selon le modèle biologique original [2-4], les mouvements rythmiques intrinsèques du cerveau (indépendant des rythmes respiratoire et cardiovasculaire) provoquent des fluctuations rythmiques du liquide cérébro-spinal et des modifications relationnelles spécifiques des membranes durales, des os crâniens, et du sacrum. Les praticiens croient pouvoir déceler et modifier les paramètres de ce mécanisme (ou un mécanisme semblable, voir la référence [5]) par l’intermédiaire de la palpation, et ceci au bénéfice de la santé du patient.
Discussion
Au centre de l’ostéopathie crânienne, voici un récit édifiant inspiré d’un récent différend entre une rêverie médicale parascientifique et une réalité, se passant dans le sud du Maine :
Il était une fois...
... avec les meilleures intentions, William Garner Sutherland inventa l’ostéopathie crânienne [2].
Au fil des années, les praticiens se sont convaincus que la palpation douce du crâne, guidée par la compréhension du « mécanisme respiratoire primaire » de Sutherland pourrait améliorer une multitude de maladies se manifestant dans tout le corps humain [6].
Au fil des années, dans des cadres officiels (par ex. des salles de classes) et informels (par ex. les cliniques), de plus en plus d’étudiants et de praticiens entendirent parler du mécanisme de Sutherland (ou de l’approche analogue d’Upledger) [[5](p11)] et de nombreux succès anecdotiques.
Des patients guérirent, des carrières s’établirent, et tout allait pour le mieux...
... puis la réalité est apparue :
  • 1) En tant que raisonnement fondamental, le mécanisme respiratoire primaire (incluant la variation crâniosacrée d’Upledger) [5] est un échec complet :
    • A. Les faits et le bon sens biologique invalident complètement le mécanisme de Sutherland [7.8].
    • B. Les diagnostics basés sur ce mécanisme présentent non seulement une fiabilité très faible, mais une absence de fiabilité. Il n’y a aucune preuve, en tout état de cause, que différents praticiens perçoivent la même chose ou même que les phénomènes perçus sont réels [7.8].
  • 2) Depuis près d’un siècle, aucune analyse concluante de résultats venant d’une étude correctement contrôlée n’a été publiée. Les praticiens n’ont aucune preuve scientifique que leur action thérapeutique – bien que biologiquement (ou métaphysiquement) fondée – a un effet direct sur la santé du patient.
Depuis 2002, le Dr. James Norton et moi-même, ensemble ou séparément, en public ou en privé et en de maintes occasions, avons partagé notre scepticisme « crânien » avec des confrères à travers le monde, y compris avec ceux de l’American Osteopathic Association, du National Board of Osteopathic Medical Examiners (U.S.A.), et du Journal of the American Osteopathic Association. De plus, nous avons offert nos impressions critiques fondées scientifiquement, extrêmement référencées, aux lecteurs du Scientific Review of Alternative Medicine (Etats-Unis) [7.8], de Physical Therapy (États-Unis) [9], d’Ostium (Australie) [10.11], de The Osteopath (Royaume-Uni) [12], de l’International Journal of Osteopathic Medicine (Royaume-Uni) [ 13 ], et sous forme de plusieurs traductions françaises [14.15]. Avec plusieurs de nos publications, lettres, Email, et communications personnelles, nous avons invité des praticiens à nous informer des travaux scientifiques qui auraient pu nous échapper ou être mal interprétés. La connaissance de tels travaux pourrait nous inciter à remettre en cause nos conclusions négatives concernant le mécanisme biologique, la fiabilité diagnostique, et l’efficacité clinique de l’ostéopathie crânienne / thérapie crâniosacrée. Quatre ans après notre première publication, nous ne savons toujours pas si des travaux d’importance publiés suggèrent de raffiner nos points de vue de quelque façon.
Est-ce la fin ?
Ça devrait l’être, mais il n'en est rien. Les soins thérapeutiques de nombreux praticiens « crâniens » tirent directement leur origine d’un « mécanisme respiratoire primaire » maintenant réfuté et aberrant. Ceci signifie que les praticiens qui se tiennent à jour n’ont même plus la biologie imaginaire du mécanisme de Sutherland pour expliquer ce qu’ils font ou des raisons de croire en son fonctionnement. Quelques cliniciens de ma propre université de médecine ostéopathique désavouent l’allégeance intellectuelle au mécanisme, mais s’accrochent à lui comme « métaphore d’enseignement »... car ils ne disposeraient même plus de cette invention biologique ratée pour unifier et expliquer leurs propositions diagnostiques et thérapeutiques. Certains répondent aux critiques en changeant de sujet et en évoquant la liste des traitements conventionnels mal compris.
Beaucoup contournent la critique en se focalisant en contrepartie sur ce qu’ils considèrent comme des succès cliniques personnels (mais scientifiquement anecdotiques). De nombreux praticiens de par le monde désavouent totalement le mécanisme biologique de Sutherland (ou ont été formés avec un modèle quelque peu différent) et impliquent à la place des énergies corporelles objectivement non mesurables [[16](p169 –170), [17](p144 –147), [18- 21]], la mécanique quantique [[16](p55 –56), [17](p137 – 138), [19 ] ], le vitalisme [[17](p141 –147), [19,22](p14 –16), [23] ], ou Dieu [[ 16](p123 –124) ].
Ainsi, le Mécanisme Respiratoire Primaire n’existe plus et les preuves de son efficacité n’existent pas ... mais l’ostéopathie crânienne /thérapie crâniosacrée, en tant que système de croyance, continue, armes à la main. Ce qui pourrait être, tout au plus, un placebo, est enseigné – comme thérapie – dans toutes les universités de médecine ostéopathique aux États-Unis [3] : Elle fait l’objet d’examens – comme thérapie – pour l’autorisation de pratiquer l’ostéopathie aux États-Unis. [13], et elle est pratiquée – comme thérapie – aux USA et à l’étranger. Les praticiens de l’art « crânien » peuvent tous pratiquer avec bienveillance et être des médecins compétents – et certains sont des amis proches – mais ils se sont accrochés professionnellement à un fantasme et sont de manière compréhensible peu disposés à s’en passer.
Comme scientifique à une époque de la pratique basée sur les preuves, ma frustration n'a fait que grandir dans mes rapports avec les fidèles disciples du « crânien ».
En tant que groupe, peu de preuves les soutiennent. Dans notre propre communauté professionnelle, le scepticisme a engendré des reproches et des accusations de déloyauté, plutôt qu’un débat raisonné – mais je n’en suis pas étonné. Tôt dans mes études, j’ai conclu que l’ostéopathie crânienne est un système de croyance pseudo-scientifique, entretenu – à la fois par les patients et les praticiens – par l’obtention d’un bien-être - et par une bonne compréhension des principes psychologiques et sociaux humains. De ce point de vue, les praticiens ont simplement défendu passionnément des opinions engagées auxquelles ils ont été longtemps confrontés.
La dissonance cognitive [24] inspirée par notre incrédulité a apporté exactement la réaction que nous avions anticipée. Bien que je garde l’espoir que les praticiens et les services de santé alliés à ces techniques – surtout les ostéopathes – laisseront bientôt les preuves guider leurs principes, une action responsable ne viendra pas sans traumatisme. L’ostéopathie crânienne a su se maintenir si longtemps dans le champ ostéopathique qu’il sera nécessaire de faire preuve de beaucoup de courage personnel et politique pour la supprimer.
Sommaire
Après des millénaires d’acceptation sociale, de pensée magique organisée, la médecine est devenue une puissante profession de service.
Cette transition ne fut possible que parce que les investigations scientifiques sont devenues partie intégrante de presque tout ce que fait un médecin. Sans la science, la médecine ne consisterait encore qu’à poser des garrots, à rebouter, et à prescrire des placebos. L’ostéopathie crânienne / thérapie crâniosacrée n’est pas une médecine de ce siècle. Des études expérimentales correctement contrôlées montreront peut-être que ces techniques, bien que biologiquement aberrantes, produisent néanmoins un effet direct et positif sur la santé des patients.
Avant cela, l’art « crânien » devrait toutefois être supprimé de tous les programmes des écoles ; les compagnies d’assurances devraient cesser de les rembourser ; et les patients devraient investir leur temps, leur argent, et leur santé dans des traitements fondés avec succès sur des modèles scientifiques biomédicaux de l’ère moderne.
Conflit d’intérêts
J’ai enseigné au même collège de médecine ostéopathique pendant 20 années. Habituellement, ceci pourrait me faire suspecter de ne pas être ouvertement disposé à critiquer la sous-discipline ostéopathique « crânienne ». Au contraire, quelques membres de ma corporation ont remis en cause ma loyauté, croyant apparemment que mes opinions pourraient avoir un impact négatif sur l’université ou sur la profession ostéopathique. Je déclare par ailleurs n’avoir aucun conflit d’intérêts.


Références
  • 1. Huxley L: Life and letters of Thomas H. Huxley Volume I. New York: D. Appleton and Co; 1901.
  • 2. Sutherland WG: The cranial bowl USA: Free Press Company; 1939.
  • 3. King HH, Lay EM: Osteopathy in the cranial field. In Foundations for osteopathic medicine 2nd edition. Edited by: Ward RC. New York: Lippincott Williams & Wilkins; 2002:985-1001. Traduction française
  • 4. The Cranial Academy: Osteopathy in the cranial field 2006 [http://www.cranialacademy.com/cranial.html]. Accessed April 22, 2006
  • 5. Upledger JE, Vredevoogd JD: Craniosacral therapy Chicago: Eastland Press; 1983.
  • 6. Cranial Academy: Who would benefit. 2006 [http://www.cranialacademy.com/benefit.html]. Accessed April 7, 2006
  • 7. Hartman SE, Norton JM: Interexaminer reliability and cranial osteopathy. Sci Rev Altern Med 2002, 6,1:23-34. [University of New England, http://faculty.une.edu/com/shartman/sram.pdf]
  • 8. Hartman SE, Norton JM: A review of King HH and Lay EM, « Osteopathy in the Cranial Field, » in Foundations for Osteopathic Medicine. Sci Rev Altern Med 2nd edition. 2004, 8,2:24-28[http://faculty.une.edu/com/shartman/Library/H-N2004-05onK-Lin SRAM.pdf]. [University of New England]
  • 9. Hartman SE, Norton JM: Craniosacral therapy is not medicine. Physical Therapy 2002, 82:1146-1147. [University of New England, http://faculty.une.edu/com/shartman/pt.pdf]
  • 10 Hartman SE, Norton JM: Craniosacral therapy is not medicine. Republished without title in Ostium: The News Magazine of the Australian Osteopathic Association 2003, Spring:2-3,9.
  • 11. Hartman SE, Norton JM: Letter critical of Fraval, 2003 (Ostium, Summer). Published without title in Ostium: The News Magazine of the Australian Osteopathic Association 2004, Autumn:4-5.
  • 12. Hartman SE, Norton JM: Letter critical of Trevitt, 2003 (The Osteopath, July and August). The Osteopath 2003, October: 29-30.
  • 13. Hartman SE: Should osteopathic licensing examinations test for knowledge of cranial osteopathy? Int J Osteopath Med 2005, 8,4:153-154.
  • 14. Hartman SE, Norton JM: Craniosacral therapy is not medicine. 2002 [http://publicweb.directnom.com/~DN-11026/Hartman_Norton3] Translated to French and reproduced with my permission 2002.15.
  • 15. Hartman SE, Norton JM: Interexaminer reliability and cranial osteopathy. Translated to French and reproduced with my permission at: Site de l’osteopathie 2002 [ http://www.osteopathie-france.net/Principes/cranien_doute_Hartman.pdf ].
  • 16. Becker RE: The stillness of life Portland, OR: Stillness Press; 2000.
  • 17. Handoll N: Anatomy of Potency Hereford, England: Osteopathic Supplies Ltd; 2000.
  • 18. Kappler RE: Osteopathy in the cranial field: Its history, scientific basis, and current status. The Osteopathic Physician 1979, February:13-18.
  • 19. Lever R, In Ferguson AJ, McPartland JM, Upledger JE, Collins M, Lever R: Cranial osteopathy and craniosacral therapy: Current opinions. J Bodywork Mov Ther 1998, 2:28-37.
  • 20. Upledger JE: Craniosacral therapy. Physical Therapy 1995, 75:328-329.
  • 21. Upledger JE: Frequently asked questions about craniosacral therapy. [http://www.upledger.com/therapies/cst_faq.htm].
  • Accessed March 26, 2004
  • 22. Sutherland WG: Teachings in the science of osteopathy Rudra Press; 1990.
  • 23. Trevitt E: The evidence base for osteopathy in the cranial field – part II. The Osteopath 2003, August:13-15.
  • 24. Festinger L: A theory of cognitive dissonance Stanford, CA: Stanford

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